Les légendes

NOTRE-DAME DE LA MER ROUGE :

Aimery Sénebault fit la croisade d’Egypte, il y fut fait prisonnier de guerre en 1250, avec le roi et toute l’armée. Peut-être fut-il emmené en captivité sur les bords de la Mer Rouge ; toujours est-il que, de retour en France, il fit bâtir, dans un îlot, au milieu du plus grand étang de la Brenne (200 hectares), une petite chapelle où la Vierge est honorée sous le titre de Notre-dame-de la-Mer-Rouge.

On raconte qu’étant à la chasse, le seigneur du Bouchet perdit son épervier
favori. Il cherchait depuis longtemps cet oiseau qu’il avait si péniblement dressé, quand il s’avisa de traverser l’eau et de se rendre dans l’îlot de son étang. Il s’approcha d’un grand chêne et fouilla partout du regard sous les rameaux épais.
Quel ne fut pas son étonnement de découvrir dans un creux de l’arbre, à côté de l’oiseau égaré, une statue de la Vierge. Se prosternant respectueusement, il invoque avec amour la Mère des Miséricordes. le pieux chevalier comprit que le ciel voulait donner à la Brenne, pays très malsain et en proie aux fièvres intermittentes, une patronne et une consolatrice. Il fit bâtir une chapelle au lieu même où il avait trouvé la statue de la Vierge, et, pour mieux graver dans la mémoire
des peuples qu’elle avait été découverte dans le creux du chêne, il fit renfermer le tronc et quelques branches dans l’épaisseur des murailles de cette chapelle.
On accourt de toutes parts à ce sanctuaire ; on y amène des infirmes, des malades, et pour en rendre l’accès plus facile, on réunit par une chaussée l’îlot à la terre ferme.
Au XVIe siècle, la chapelle fut détruite par les protestants. Ses murs furent renversés, ses ornements pillés et la statue emportée à Déols pour être brûlée. Cet évènement eut lieu après la victoire remportée à Moncontour par le duc d’Anjou, le 3 Octobre 1569.

Affolées, les garnisons protestantes du Poitou, celles de Châtellerault en particulier,
regagnèrent par le Berry leurs places de sûreté, Sancerre et La Charité. Chemin faisant,
elles pillèrent la chapelle de la Mer Rouge qui se trouvait sur leur passge et revinrent
à Déols où les Huguenots brûlèrent en place publique la statue qu’Aimery Sénebault
avait trouvé au creux du chêne.
Abbé DAMOURETTE.

 

LA LEVRETTE :

Un braconnier du village des Baudins, commune de Lacs, était un soir, à l’affût aux abords d’un petit bois voisin de son hameau, lorsqu’une bête blanche sort du taillis, s’arrête et se prend à le considérer. Le paysan ne met un instant en doute que ce ne soit La Levrette; aussi détale-t-il à grand’erre. sa frayeur est telle que l’idée ne lui vient même pas de faire usage de son fusil et qu’il n’ose jeter un coup d’oeil en courant par-dessus son épaule, pour voir s’il est poursuivi. Enfin, il arrive, haletant, à l’entrée du village, pousse la porte-coupée de la première maison qu’il rencontre, entre, ferme seulement le vantail du bas et, se jugeant en sûreté, regarde résolument derrière lui.
La Levrette est là… à vingt pas à peine… et avance toujours !
Le braconnier n’hésite plus et fait feu sur la bête… La bête tombe…
Cependant, le maître et la maîtresse de la maison dans laquelle il se trouve, réveillés en sursaut par le coup de fusil, sautent à bas de leur couche et s’informent, pleins d’épouvante, de quoi il s’agit. On se reconnaît, on s’explique ; puis il est question d’aller tous ensemble à la découverte du diabolique gibier. Dieu sait avec quelles précautions,
avec quel émoi, on procède à cette exploration ! Ce n’est que munis d’eau bénite et en prodiguant les signes de croix qu’ils osent, tous les trois, s’acheminer vers la place où gît la bête.
– Ah ! le malheureux ! s’écrie tout à coup la femme, il a tué ma chèvre !…
Rien n’était plus vrai. La pauvre bête s’était égarée, la veille, dans les champs, et c’est pourquoi ses maîtres, après l’avoir vainement cherchée toute la soirée, avaient laissé leur porte entrouverte, afin qu’elle pût entrer au logis, si l’envie lui prenait d’y revenir.
– Je vous paierai votre chèvre, dit le braconnier tout penaud à ses deux voisins ;  mais je vous en prie, ne parlez pas de l’aventure.
LAISNEL DE LA SALLE

 

LA LEGENDE DU CLOS DU ROY :

Ceci se passait en notre ville, il y a des siècles, bien des siècles…
Le seigneur de Vierzon – le roi de Vierzon – possédait un vignoble assez étendu – Le clos du Roy – , et ce n’était pas la propriété à laquelle il tenait le moins. Il y récoltait un petit vin qui faisait ses délices et que, pour rien au monde, il n’eût sacrifié.

Or, d’une des fenêtres de son château ayant vue sur le clos et par laquelle il observait fréquemment la campagne, il remarquait chaque jour avec un froncement de sourcil singulier, que ses serfs, les vignerons, interrompaient souvent leur travail et se reposaient de longs instants sur leurs outils. Tous faisaient de même. Grave préjudice !
Le seigneur voulut y mettre un terme sans retard. Il alla dans les vignes, s’approcha d’un ouvrier au repos et lui dit, le ton dur :
– Manant, tu ne fais guère de besogne, ce me semble. Te faudra-t-il cent coups de fouet ?
– Mon bon seigneur, répondit le vigneron, le travail est dur et la journée est longue à compter du lever au coucher du soleil.
– Ouais ! Et le prix que je te donne n’est-il pas fameux ? Cinq sols par jour, tu me gruges !
Puis il en aborda un autre, puis un troisième. Partout il lui fur répondu que le travail était dur. Le seigneur voulut en avoir le coeur net. A quelque temps de là il se déguisa en paysan et se rendit à la louée où il fut gagé un des premiers. Il se mit à travailler comme les autres, sans repos, sans arrêt ; mais, à cinq heures du soir, il était harassé, n’en pouvait plus. Il jeta son pic et s’assit. Le maître vigneron l’aperçut et s’approcha de lui :
– Il y a longtemps qu’un paresseux de la sorte ne s’était rencontré ici. oust ! vite debout et gare au fouet !
Mais le seigneur se fit connaître. Il appela à lui tous ses serfs dont l’étonnement était considérable. Ils se jetèrent à ses genoux. Alors, le seigneur leur apprit que, désormais,la journée de travail des vignerons finirait à cinq du heures soir.
Cette coutume dura jusqu’à la Révolution.
E. LAURENCON

 

LA LEGENDE DU ROSSIGNOL :

Il existe en Berry une bien jolie légende qui ne se trouve plus guère aujourd’hui que dans la mémoire de quelques vieilles gens fidèles à l’antique tradition. Elle tend à expliquer pourquoi le rossignol chante la nuit. La voici dans toute son ingénuité :
C’était aux premiers âges du monde, sans doute peu de temps après la Création ; les rares animaux vivant alors sur la terre n’avaient qu’un oeil. De ce nombre étaient la rossignol et l’orvet, cet inoffensif petit serpent de verre, à la queue si fragile, pas excessivement répandu, et que l’on rencontre dans les trous des vieux murs, parmi les pierres ou sous les broussailles des endroits humides. Le patois berrichon le nomme langou.
Or, il arriva que le rossignol fut convié aux noces. Etait-ce aux noces du merle ou du papillon ? La légende est muette sur ce point. Toujours est-il que l’oiseau, voulant briller à cette fête, ne trouvait pas suffisante pour cela son admirable voix. Il alla voir l’orvet qui sommeillait dans la fraîcheur de l’ombre et lui tint à peu près ce discours :

– Mon cher ami, je suis de noce, et comme il y aura une brillante assemblée, je désirerais faire bonne figure à la cérémonie.
– Mais ta voix charmera tout le monde, répartit l’orvet.
– Sans doute, cher ami, mais tous les convives seront-ils amateurs de chansons ?…
Il y aura un bal après le festin, et c’est là surtout que je voudrais faire sensation. J’y rencontrerai le bouvreuil au jabot écarlate, le chardonneret au bec rosé encadré de vermillon, aux ailes pailletées d’or, la fauvette coiffée de noir… Que sais-je encore ?…
Mon habit roux et terne ne se distinguera guère dans cette foule élégante … Il faut pourtant que je me signale de quelque façon … Tiens, par exemple, si tu voulais me prêter ton oeil – que, sans faute, je te rapporterais le lendemain – si tu voulais me rendre cet éminent service, eh bien, je crois qu’il serait parlé de ton ami la rossignol !…

L’orvet, un brave coeur, plein d’obligeance, acquiesça à la demande de son voisin. Celui-ci, le seul être qui eût alors deux yeux, grâce à la complaisance du petit serpent, fut tellement admiré et adulé au festin et au bal qu’il ne put jamais se décider à restituer l’oeil emprunté. Le pauvre orvet, victime de sa bonté, aveugle depuis cette époque reculée, a voué une haine terrible au rossignol et sa pensée est de reprendre le bien précieux qui lui a été si malhonnêtement ravi. Mais l’oiseau à la voix mélodieuse se tient sur ses gardes ; il ne dort plus depuis des siècles, ne voulant pas se laisser dépouiller à son tour.
Craignant d’être surpris durant son sommeil, pour ne pas s’endormir, il égrène pendant des nuits entières ses sérénades aux étoiles.
E. JOUIN

 

LE CHEVREFEUILLE :

Il y avait un fois deux bessonnes, Louise et Marie. Grande belle fille, courageuse comme pas une et la plus avisée du voisinage, Marie était restée grave comme une aïeule, depuis que sa soeur Louise avait perdu l’esprit, soudain, sans qu’on ait jamais su pourquoi. Malgré ses grands yeux toujours fixes,Louise était une jolie fille ; mais elle ne savait plus faire autre besogne que mener ses ouailles aux champs et tricoter la laine, ni prononcer d’autres paroles que celles dont elle excitait son chien contre les
brebis qui s’écartaient trop loin du pacage.
Un soir de juin, comme Marie venait chercher sa soeur, elle la trouva, tricotant, assise près d’un buisson du chemin creux. Louise fit signe qu’elle voulait finir son rang de tricot, et Marie pour l’attendre s’assit à coté d’elle. A ce moment, entendant le craquement des roues d’une voiture qui s’en venait, Louise tourna la tête et, devenue rouge comme une guigne, elle regarda fixement Alexandre, le gars du père Tienne, qui marchait, sa fourche sur l’épaule, à coté de la charrette affaîtée de foin.
Lui aussi avait vu les bessonnes, et, voulant leur faire plaisir, il cueillit aux hautes branches d’un buisson une brassée de chèvrefeuille qu’il leur jeta en passant avec une bonne parole.
– C’est tout pour toi, Lison, dit Marie, qui mit tout le chèvrefeuille dans le tablier de sa soeur. Louise prit les fleurs, les respira longuement puis, lissant son aiguille à tricoter dans ses cheveux, elle se mit à pleurer…
Dès que la moisson fut rentrée, Louise, redevenue toute comme une autre, se maria avec Alexandre, le gars du père Tienne. Ce fut une belle noce à laquelle était convié quasiment tout le village. Or, comme le cortège montait joyeusement le chemin creux et arrivait devant le buisson où le chèvrefeuille avait été cueilli, le vieilleux et le cornemuseux s’arrêtèrent. Ils eurent beau faire des efforts pour avancer, leurs pieds étaient comme racinés dans la terre, et ils ne purent continuer leur chemin qu’après avoir joué quatre fois les couplets et quatre fois le refrain d’ Au Pays du Berry, l’air des épouseux.
J. ROSELLE.

 

HENRI IV ET LE PAYSAN :

C’est probablement durant le séjour du seigneur François de Cugnac, marquis de Dompierre, au château de Boucard, près de Sancerre, que s’est passé l’anecdote suivante :
Henri IV chevauchait un jour en avnt de sa suite et traversait tout seul la ville de Bois-Belle pour se rendre à Boucard où il devait y avoir ce jour là même une réception officielle ; sur son chemin, il vit un jeune paysan dont l’allure précipitée le frappa.
– Où vas-tu donc en si grande hâte, mon ami, lui demada le roi en arrêtant son cheval.
– Monsieur, répondit le paysan, je m’en vais voir le roi de Paris, que notre prince a fait venir à Boucard.
– je me rends aussi à cette résidence, répliqua Sa Majesté, monte en croupe, mon cheval est bon, il nous portera bien tous les deux.
Le paysan secoua la tête en se grattant l’oreille ; il ouvrait de grands yeux et restait bouche béante ; car si, d’une part, la proposition du cavalier le tentait fortement, de l’autre, il se sentait quelque peu intimidé par la bonne mine de son interlocuteur :
cependant, celui-ci ayant renouvelé son offre obligeante, le paysan se décida à l’accepter. Le voici donc en croupe, heureux comme un prince, et ne se doutant guère de l’honneur qu’il avait d’en escorter un d’aussi près.
Chemin faisant, le roi fit jaser son compagnon : une seule chose inquiétait vivement celui-ci, il ne devinait pas comment il s’y prendrait pour reconnaître le roi au milieu de tous les grands seigneurs de sa cour :
 » Rien de plus facile, lui répondit Henri IV, tu n’auras en arrivant à Boucard qu’à regarder celui de tous les cavaliers qui gardera son chapeau sur la tête, tandis que les autres resteront tête nue devant lui …  »
Arrivés à destination, nos deux voyageurs furent entourés et salués par la foule de courtisans, parmi lesquels la vue et la tournure de paysan excitèrent une hilarité que le respect dû à la présence royal contenait à peine :
 » Eh bien, mon ami, lui demanda le prince en tournant son visage vers celui-ci, reconnais-tu le roi maintenant ? – Nenni, monsieur, répondit l’homme des champs à moins cependant que je le seyions l’un ou l’autre, puisque j’avons seuls nos chapiaux sur nos têtes… »
A CECIL

 

LES CHIENS DE M. SAINT-PHALIER :

Louis XI, à Plessis-les-Tours, sentit avec terreur venir sa fin. Il résolut un jour de se transporter à Chabris pour aller prier devant le sépulcre de Phalerius, connu dans le pays sous le nom de Monsieur Saint-Phalier, et qui était célèbre par ses miracles.
Tandis que le roi voyageait avec une suite nombreuse, porté dans une riche litière, un orage épouvantable se déchaîna sur la campagne. L’escorte était en désarroi complet.
Aveuglés par la pluie et les éclairs, les chevaux se cabraient et emportaient leurscavaliers à travers les buissons, les halliers et les fondrières.
C’était un véritable épisode de la fin du monde. Tout à coup un son de cloche se fait entendre et domine les éclats du tonnerre. O merveille ! A ce bruit, la nue se fend et fuit dans des directions opposées ; l’arc en ciel se dessine à l’horizon ; le calme renaît comme par enchantement et la nature en pleurs sourit aux rayons d’un soleil splendide …

Alors Louis XI, renfermé dans sa litière, hasarda à la portière son pâle visage, puis, avisant un vieux pâtre qui se tenait ébahi sur le bord de la route :
– Brave homme, dit-il, quel est ce clocher qu’on voit là-bas, et d’où vient cet étourdissant carillon ?
– Messire, répondit le paysan, ce clocher est celui de Chabris, et vous entendez les aboiement des bons chiens de Saint-Phalier lâchés sur le diable.
– Qu’appelles-tu les chiens de Saint-Phalier ?
– Nous nommons ainsi les cloches de la paroisse qui, mieux que limiers suivant la piste, savent chasser les démons et les tempêtes. aussi, chaque fois qu’un orage éclate, on les met en branle, et l’on voit ensuite les nuages se crever et se dissiper, comme vous avez pu en juger vous-même.
En arrivant à la place de l’église, l’escorte royale aperçut une foule nombreuse assemblée autour d’une femme qui, les cheveux épars, les vêtements en lambeaux, les mains et le visage ensanglantés, se tordait sur le sol dans d’horribles convulsions.
De temps à autre, cette femme se dressait sur son séant, montrait le poing au clocher dont les cloches sonnaient toujours, et s’écriait, l’écume à la bouche :
– Oh ! Oh ! les gros mâtins de Saint-Phalier … arrêtez-les ! Arrêtez-les !
Et la malheureuse retombait et battait de nouveau la terre, sans que personne songeât à la secourir. Le Roi ayant demandé l’explication de cette scène à plusieurs bourgeois qui se tenait à l’écart, par dégoùt, ou par terreur, l’un d’eux répondit :
– N’approchez pas, Messire, n’approchez pas …
C’est une misérable sorcière possédée du malin, venue ici on ne sait d’où, en apparence pour obtenir sa guérison des mérites de Saint-Phalier, en réalité pour nous faire tout la mal possible. Entre autres abominables pratiques, elle se vante elle-même d’appeler et de conduire à son gré les puissances de l’air. Aussi, quand le grand tonnerre d’aujourd’hui éclata sur la paroisse, vous l’eussiez vue riant, dansant, gesticulant, sans s’inquiéter de la pluie et des éclairs, tandis que chacun se réfugiait dans l’église ou les maisons. Mais elle avait compté sans les chiens de Saint-Phalier, car aussitôt que nos bonnes cloches se mirent en branle pour conjurer la tempête, elle rougit, pâlit, chancela et tomba dans ses contorsions et grimaces habituelles qui l’agitent encore en ce moment. Dieu veuille, pour elle et pour nous, que cela lui serve de leçon.
J. VEILLAT.

 

LA LEGENDE DES 99 CHAPEAUX :

Au temps de la ligue, M. de la Châtre était gouverneur de Vierzon. Né à trois lieux lieues de cette ville, en son château de Maisonfort, il était, à seize ans, page du connétable Anne de Montmorency, puis devenait gouverneur du Berry et de l’Orléanais. Enfin, révoqué par Henri III pour avoir embrassé le parti de la Ligue, il faisait sa soumission à Henri IV et recevait en récompense le bâton de Maréchal de France, plus une indemnité d’un million.
Quand il mourut en son château, après avoir exercé en Berry une autorité illimitée, son corps fut transporté à l’église de Genouilly, suivi par plus de deux cents gentilshommes des environs ; puis le cortège se rendit à Bourges où le Maréchal fut inhumé dans l’église souterraine de la cathédrale avec une pompe extraordinaire.
Ainsi que le constate M. le comte de Toulgouët, on comprend qu’un personnage de cette importance dut laisser une impression profonde et vivace dans l’esprit des populations. aussi les gens de la campagne conservèrent-ils longtemps le souvenir d’une foule de légendes dont il fut le héros, et que l’on raconta longtemps aux veillées d’hiver.
Et M. le comte de Toulgouët dit tenir une de ces légendes d’un M. Larchevêque de Tabalou, qui la tenait lui-même d’un vieux berger dont l’enfance avait été bercée de ces récits.
 » C’était au plus fort de la guerre civile, alors que les bandes armées parcouraient les campagnes, cherchant à surprendre les châteaux. Celui de M. de La Châtre était naturellement le point de mire des protestants, mais aussi un des mieux défendus.
Toutefois, il arriva qu’un jour le Maréchal, malade et alité, ayant envoyé au loin ses hommes d’armes, était resté presque seul en son château.
 » Vers le soir, un de ses serviteurs vint l’avertir qu’un parti ennemi, composé d’une centaine de fantassins, qu’on appelait alors des chapeaux, parce qu’ils étaient coiffés d’une sorte de chapeau de fer, s’étaient postés dans un petit bois voisin, et qu’ils devaient, la nuit venue, s’emparer du château et en massacrer les habitants.
 » Le Maréchal sortit du lit, s’arma de pied en cap, tout malade qu’il fût, et , pour essayer ses forces, se coucha, revêtu de sa lourde armure, sur un de ces grands coffres qu’on appelle une mée dans nos campagnes. Puis, sans se servir de ses mains ni de ses bras, il se releva à la force des reins. Ayant constaté ainsi qu’il n’avait rien perdu de sa vigueur, il fit seller et équiper son cheval de bataille et, suivi de son seul écuyer, il partit au galop, tomba à fond de train sur le petit bois, surprit les soldats dans leur campement, et en fit un si grand carnage, frappant d’estoc et de taille avec sa grande épée, et les écrasant sous les pieds de son puissant coursier, bardé de fer, que de cent, il n’en resta qu’un.
A celui-là, il fit grâce de la vie et lui dit :
« Va-t’en conter aux gens de Vierzon qu’il y a quatre-vingt-dix-neuf chapeaux à ramasser ici !… »
E. LAURENCON.

 

LE TOMBEAU DE SAINT-LUDRE :

L’illustre famille des Léocadius fut la première conquête éclatante du christianisme dans le pays Biturige. Lusor ou Ludre, fils du généreux donateur, et dont l’enfance s’était passée à Déols, reçut aussi le baptême ; mais il mourut encore vêtu de la robe blanche des néophytes. Grégoire de Tours nous apprend que son tombeau, en marbre de Paros et admirablement sculpté, placé dans la crypte de l’église de Déols, était déjà
de son temps l’objet d’une grande vénération.
Saint Gervais, évêque de Paris, vint le visiter. Ses clercs, fatigués d’une nuit passée en prières, s’y étant accoudés pour dormir, le tombeau trembla, comme indigné d’une telle profanation. Saint Germain, saisi de frayeur, ordonna aux clercs endormis de se retirer en s’écriant :
 » Paresseux, éloignez- vous de ce tombeau de peur d’offenser le saint de Dieu  » , sur quoi les clercs se retirèrent et ne sentirent plus le tremblement.
Le bienheureux saint Ludre apparut une fois à un pauvre homme pour lui ordonner de nettoyer la petite chmbre, dans laquelle on prétend qu’il avait poussé les premiers cris de l’enfance.
Mais comme, malgré deux avis semblables, le pauvre homme ne faisait pas ce qui lui était ordonné, le saint lui apparut une troisième fois et dit :
 » Si tu fais ce que je te demande, tu recevras un tiers d’as (trientem) pour ton obéissance.  »
Se levant aussitôt, cet homme nettoya et lava la chambre, dans laquelle il répandit en outre des herbes odorisantes, puis il se tint debout, attendant l’effet de la promesse, jusqu’à ce qu’ayant vu la pièce de monnaie reluire sur le pavé, il la ramassa et se retira tout joyeux.

 

LA LEGENDE DU PAS-DE-LA-MULE :

Sur les bords de la route de Cluis à Châteauroux, près de la locature de la Maison-Rouge, s’élève une grande croix de bois à laquelle se rattache une légende particulière .
Un titre de 1753 la désigne sous le nom de « Croix du Pas-de-la-Mule », nom qui est également donné à un petit étang voisin. Au pied de cette croix, une large pierre plate de grès rouge offre à sa surface plusieurs cavités correspondant à l’empreinte légendaire du sabot de la mule qui conduisit autrefois un saint personnage portant le « Précieux Sang ».
Or, cette croyance populaire transmise avec le vague traditionnel qui caractérise les récits de ce genre,paraît se rattacher au souvenir du grand saint Martin, si connu dans nos contrées par ses nombreux miracles. A Sainte-Gemme, dit-on, l’illustre thaumaturge s’étant présenté aux habitants pour les convertir à la religion catholique fut apostrophé en ces termes par l’un des païens :
 » Si tu veux que nous ajoutions foi à ta parole, que ta mule s’enfonce dans le rocher. »
Et la mule imprima fortement ses pieds dans le granit.Tel est évidemment le premier thème sur lequel s’est formée notre légende, mais il a été modifié dans la suite des temps par de nouvelles données historiques. C’est au XIIIe siècle que se place l’évènement auquel il est fait allusion. Le cardinal Eudes de Châteauroux, légat du pape, revenant de Jérusalem, apportait dans un reliquaire quelques gouttes du sang miraculeux de Notre-Seigneur pour le déposer dans l’église de Neuvy, bâtie sur le modèle du Saint-Sépulcre. En chemin, la mule qui le portait, poursuivie par des malfaiteurs sacrilèges, s’arrêta instinctivement au pied de la croix située sur son passage. Tandis que le cardinal offrait sa prière au ciel, un ange intervenant miraculeusement déroba le saint évêque et sa monture aux regards des impies, et quand ceux-ci, continuant leur poursuite, arrivèrent au pied de la croix qu’Eudes de Châteauroux venait de quitter, ils virent les traces des pas de la mule imprimées sur le sol, mais, par suite de prodige, dans une direction opposée à la véritable.
Ainsi trompés sur le sens de la route à suivre, ils ne purent atteindre leur but et  empêcher la pieuse mission de s’accomplir.
Les empreintes, que les gens du pays, croient voir encore sur la dalle où la mule avait marché, ont fait donner à la croix du Pas-de-la-Mule une origine miraculeuse.
Aussi un certain nombre de pèlerins s’y rendent en dévotion pour obtenir la guérison de la fièvre intermittente. Et quand, après la pluie, les cavités de la pierre se trouvent remplies d’eau teintée de rouge par les oxydes ferrugineux, quelques-uns n’y voient pas autre chose qu’une survivance du fait miraculeux dû au passage du  » Précieux Sang  » vénéré dans l’église de Neuvy Saint-Sépulcre.
E. HUBERT

 

LA LEGENDE DU BIENHEUREUX JOSBERT :

Le 30 novembre 1186, jour de la fête de saint André, les religieux de Déols étaient rassemblés pour l’office de matines. A la tremblante clarté des cierges, l’abbé parcourait le choeur et vérifiait si chacun était à son poste. Il finissait son inspection et allait donner le signal des chants, lorsque son regard tomba sur une stalle vide.
– Où est donc notre frère Josbert ? dit-il
Les capuchons s’agitèrent, un long chuchotement glissa dans les rangs, mais personne ne pouvait répondre à la demande de l’abbé.
– Il doit y avoir quelque chose de grave ; je vais moi-même le savoir.
Et il sortit en toute hâte, suivi d’un novice.
Or, Josbert brillait par ses vertus, sa piété et la scrupuleuse pratique de ses devoirs.
Au bout de quelques instants, l’abbé rentra, pâle et défait en s’écriant :
– Mes frères, un grand évènement nous arrive. Le bienheureux Josbert est au ciel. Suspendez vos chants, et venez contempler l’éclatant miracle qui s’est accompli sur son corps.
Les moines se précipitèrent sur les pas de l’abbé et pénétrèrent avec lui dans la cellule où les attendait un merveilleux spectacle.
Décemment enveloppé, comme d’un suaire dans les plis rigides de sa robe noire, les mains jointes, la face tournée vers le ciel, Josbert, mort, gisait sur sa natte de jonc. Deux roses vermeilles sortaient des cavités de ses yeux, deux autres de ses oreilles une cinquième s’épanouissait entre ses lèvres et chacune de ces fleurs potait dans son calice une lettre du nom de la Vierge. Lorsque, vêtu de ses habits pontificaux et entouré de son clergé, l’archevêque Henri de Sully vint admirer le prodige, il se mit en devoir de recueillir les roses miraculeuses, mais celle-ci se fanèrent et se décolorèrent à mesure qu’elles étaient enlevées de leurs places, à l’exception de celle qui avait fleuri dans la bouche.
Longtemps encore, cette dernière conserva sa fraîcheur et son éclat dans le reliquaire où elle fut déposée avec ses compagnes.
J. VEILLAT.

 

LA VIERGE DE DEOLS :

Léocade, sénateur romain, étant proconsul des provinces romaines ; la Lugdunaise et l’Aquitaine, l’oratoire du palais de Déols (près de Châteauroux ) devint l’église de Sainte-Marie-La-Petite. Le culte de Marie prit à Déols un notable accroissement dans le cours du Xe siècle, lorsque Ebbes-Le-Noble fonda la célèbre abbaye de Bénédictins qui devint avec le temps le premier et le plus beau monastère du Berry.
Un fait historique qui relève encore plus haut le sanctuaire déjà si cher à l’ardente piété des fidèles du Moyen-Age, c’est le miracle du 29 mai 1187. Anglais et Français étaient en guerre. Henri II d’Angleterre, ayant appris que Philippe-Auguste voulait s’emparer de la place forte de Châteauroux, était accouru de Chinon à Déols avec ses deux fils, Richard et Jean-sans-Terre. Le monarque anglais avait alors à sa solde des routiers, hobereaux et brabançons, gebs de sac et de corde, ramassis de bandits, qui se signalaient par toutes sortes de brigandages.
Un d’entre eux jouaitaux dés sur une place située en face du portail de l’église abbatiale de Déols. Or, dans le tympan de ce portail, au-dessus de la colonne en pierre qui se trouvait entre les deux vantaux de la porte, était placée une statue de la Vierge, assise dans une chaière (chaise) et présentant à l’adoration des fidèles le petit Jésus emmailloté. Ces statues ont été décapitées en 1793. Le bandit, qui jouait aux dés, perdit l’argent qu’il avait acquis par ses rapines et ses vols. Furieux, il blasphéma, puis dans sa rage, saisit un caillou et le lança contre la statue du tympan. Le caillou atteignit le bras de l’Enfant Jésus et le brisa.
Mais, Ô prodige ! Ô merveille ! Le sang ruisselle en abondance de la blessure comme d’un corps mutilé et vivant ! …
Les religieux avertis viennent en procession recueillir ce sang avec un grand respect. Quant au profanateur, un mouvement frénétique le saisit et il expira sur place. Ce premier miracle en eut un autre pour corollaire. La statue, rompant le crampon de fer qui la tenait attachée à la muraille, se remua sur sa base. Une tradition consignée dans l’Atlas Mariano, du savant allemand Gumpfemberg, affirme en outre que la statue, quoiqu’elle fût en pierre, écarta avec ses mains les vêtements qui couvraient sa poitrine, faisant connaître par ce signe, la douleur qu’elle ressentait de l’outrage fait à son divin fils.
Tel est le récit des grands miracles qui fondèrent pour les siècles suivants la grande dévotion des habitants de tout le Bas-Berry pour la statue de Notre-Dame des Miracles de Déols.
L. DAMOURETTE.

 

SAINTE SOLANGE :

Dans un petit village, sur les bords de l’Ouatier, à Val-Villemont, près Bourges, vivait, il y a plus de mille ans , une famille de braves vignerons. Ile eurent une fille, jolie comme le jour, qu’ils nommèrent Solange.
Le soir, à la veillée, le père lisait à haute voix La Vie des Saints dans un vieux livre tout jauni par le temps et l’usage. Solange écoutait cette lecture avec ravissement.
Sainte Agnès surtout la mettait en extase :  » Je ferai comme toi, mon agnelette ! « disait-elle, joignant les mains.
Et, tout en gardant ses brebis, il lui semblait parfois la voir debout devant elle, enveloppée d’un grand manteau. Quand elle eut pris un peu d’âge, elle édifia les gens du bourg par ses vertus. Charitable, elle s’en allait quêter pour les pauvres à travers les moissons : « Un brin d’épis, champ du Seigneur, demandait-elle.
Jésus vous en baillera de plus riches.  » Et les tiges aussitôt s’abaissaient pour s’égrener au creux de ses mains, tandis que de plus beaux épis renaissaient derrière ses pas.
Un jour, lavant du linge dans l’Ouatier, elle vit se refléter sur l’eau le plus charmantvisage que l’on puisse voir. Elle l’admirait sans se douter que ce fut elle :  » Oh ! la gente fille au teint frais ! Jésus ! C’est une rose !  » s’exclama-t-elle naïvement.
Mais Agnès est là pour la mettre en garde contre le péché d’orgueil. Solange alors, toute confuse, brouille l’eau jusqu’au fond pour ne plus voir son image.
Avec les années, elle gagne en perfection, fait des miracles, écarte les orages, guérit les infirmes, chasse le démon de ceux qui en sont possédés. Sa renommée s’étend au loin. Le prince du pays, Bernard, comte de Poitiers et de Bourges, veut connaître cette bergère que l’on dit si vertueuse et si belle. Un jour, il l’aperçoit priant devant un petit oratoire qu’elle a construit elle-même au milieu des champs et le voilà pris d’amour pour cette jeune fille aux grands yeux. Il jure qu’il la fera sienne. L’avril revenu, il rôde autour de la prairie où elle mène paître ses agneaux. elle chante en tournant son fuseau. Il l’aborde et lui offre son coeur, ses domaines, Bourges la grand’ville. Mais Solange refuse tous ces biens et lui apprend que son coeur est à Jésus  » comme la feuille est à la branche « .
Le prince veut la saisir, mais elle s’enfuit. Il la poursuit et, l’ayant rejointe, il la dépose sur son cheval et l’emporte vers son château, lorsqu’elle lui échappe une seconde fois. Alors, l’amour faisant place à la fureur, d’un seul coup de sa dague le prince lui trancha la tête. De cette jolie tête blonde aux grands yeux clairs, croulé sur l’herbe sanglante, sortirent des parfums comme du vase brisé de sainte Madeleine, et par trois fois le nom de  » Jésus  » s’échappa de ses lèvres mortes.
Epouvanté de son crime, le prince disparut dans une course folle, regardant luire devant lui une étoile d’or – l’étoile qui brillait au front de Solange – et qui le conduisit dans le jardin des Anges, où règne le Pardon.
H. LAPAIRE.

 

LA CHAPELLE-DU-FER :

La Chapelle-du-Fer est une humble bâtisse sans style ni clocher qui a l’air plutôt d’une grange que d’un temple. Elle se cache, loin des locatures, au milieu d’une vieille chataigneraie, à mi-chemin de la paroisse de Saint-Plantaire et du collège de Lourdoueix-Saint-Michel. Le pays est boisé, peu habité, triste et prenant.
Pour la fête de Saint-Jean, il se rend à cette chapelle un grand concours de bêtes bovines, ovines, asines, et chevalines, qui viennent de trente lieues aux entours. Il y en a qui sont de pays limousin, d’autres qui sont marchoises, et d’autres qui, comme moi, sont berrichonnes.
Toute la nuit, elles ont marché à la lumière des étoiles, ainsi que les mages, ou tout bonnement dans l’obscurité. On entendit dans les fermes leurs cris fantastiques s’égrener dans le silence ; mais voici que le matin est apparu, et maintenant cochons, brebiage et mulets fraternisent à l’ombre des châtaigniers séculaires. Ils se reposent en attendant l’heure de la procession. Les uns après les autres, en un calme pieux, ils vont alors, garnis de rubans, autour du temple rustique qui ressemble fort à leurs crèches ; ils vont, conduits par leurs toucheux ou par des femmes en capote.
– Huuuuche, huuuuche ! disent en traînant les toucheux.
Et les bêtes tournent, tournent autour de la chapelle ; les unes ont de petits fanions à leurs cornes pour mieux les montrer. Quelle idée ! Les autres ont sur le dos des étoffes de couleur. Toute la journée, elles défilent ainsi, benoîtes et respectueuses.
Jésus, sans doute, regarde passer avec indulgence l’âne qui le mena en Egypte, la vache qui le réchauffa de son haleine et l’agneau symbolique.
Jadis, on reliait toutes les bêtes d’une même race par un câble de plusieurs centaines de mètres, mais cette chaîne offusqua notre siècle de liberté, et peut-être les bêtes protestèrent-elles. Aujourd’hui, elles vont par troupeaux, régulières et tranquilles.
Leurs dévotions terminées, elles repartent vers leurs étables lointaines, emportant les bénédictions du Maître.
J. AGEORGES.

 

LE DEVIN FEINT :

On appelle grelet, un petit insecte sauteur, tout noir, ayant la forme d’une cigale et qui crie la nuit dans les cheminées ; c’est même pour cette raison que le populaire l’appelle cri-cri. Un pauvre villageois du nom de Grelet, voulant s’offrir bonne chère, eut l’idée de se faire passer pour devin. Son premier soin fut d’exiger de ceux qui avaient recours à son art, qu’ils lui servissent pendant trois jours, trois repas ne durant pas moins chacun de douze ou quatorze heures, quitte à subir ensuite, sa supercherie découverte, les pires tourments, voire la mort.
Une dame de qualité ayant perdu un diamant de grand prix le fit appeler. Elle ordonna qu’on lui donnât d’abord tout ce qu’il désirait. Or, la pierre précieuse avait été volée par trois laquais dont l’un fut chargé de servir à Grelet son premier repas.
Le soir, celui-ci faisant allusion à ce festin murmura :
 » Dieu merci ! En voilà déjà un de pris !  »
Le voleur se crut découvert et avertit ses compagnons. Le second et le troisième jour, le service fut fait respectivement par les deux autres laquais. Grelet ayant continué ses réflexions devant chacun d’eux :
 » Dieu merci ! En voilà deux ! Dieu merci ! En voilà trois !  » , les voleurs ne
doutèrent plus qu’ils fussent découverts. Ils se jetèrent aux pieds du rustre et lui avouèrent toutes les circonstances dans lesquelles ils avaient accompli leur larcin.
Grelet se fit remettre le diamant et inventa une histoire pour ne pas accuser les laquais. La dame, enchantée de rentrer dans son bien, complimenta le devin, maison mari, revenu de voyage, ne fut pas dupe du stratagème et, voulant éprouver Grelet, il lui présenta sans que celui-ci s’en doutât un grelet entre deux plats, menaçant de lui faire couper les oreilles et donner cinq cents coups d’étrivières s’il ne devinait pas.
Le manant, se croyant découvert, d’autant que ce seigneur lui avait laissé entendre qu’il savait toute la vérité, s’écria :  » Hélas ! pauvre grelet, te voilà pris !  »
Comme le seigneur ignorait le nom du villageois, il crut réellement qu’il était devin et le combla aussitôt d’or et de présents.
LE METEL.

 

L’HERBE DU PIC :

L’herbe du pic est une plante magique qui a la propriété de communiquer une force surnaturelle à celui qui s’en frotte les membres ; mais fort peu de personnes la connaissent.
Quelques rares privilégiés parviennent, dit-on, de loin en loin, à découvrir cette herbe qui donne au pic-vert la force de percer jusqu’au coeur les chênes les plus durs. Elle se trouve quelquefois dans le nid même de l’oiseau. On assure de plus que cette plante a pour caractère spécifique d’être, à toute heure de la journée, en toute saison, par les froids les plus vifs, comme par les chaleurs les plus intenses, couverte d’une abondante rosée. Gardez-vous bien surtout de la cueillir avec un instrument de fer !
Elle perdrait toute sa vertu.
Un nommé Chéramy, dit le Grand Boiron, natif du bourg de Lourouer-Saint-Laurent, et qui vivait on ne sait plus à quelle époque, portait toujours sur lui de l’herbe du pic et vraiment, sans cette circonstance, il serait bien difficile d’admettre tout ce que l’on rapporte de sa force incroyable.
Fallait-il rétablir l’équilibre d’une charretée de foin près de chavirer, une simple poussée d’épaule lui suffisait pour la remettre en son aplomb.
Un jour qu’il battait en grange au domaine de la Riffauderie, on entendit dans la charpente un craquement extraordinaire. Le Grand Boiron sortit aussitôt, et vit que c’était l’un des pignons du bâtiment qui s’éloignait de la verticale. Il n’en fit ni une  ni deux : il appliqua bravement ses reins le long de la muraille, et donna le temps d’aller chercher un charpentier et de construire un contre-boutant, ce qui ne dura pas moins de quatre grandes heures d’horloge.
Se trouvant, une autre fois, engagé dans une batterie qui avait lieu, par suite de rivalités de paroisses, à l’assemblée de Montgivray, il culbuta tous ses adversaires et les entassa, au nombre de quarante-sept, au pied de la grand’croix de la place. La maréchaussée étant survenue, il se contenta de la désarçonner, puis il enfourcha le cheval du lieutenant, gagna la campagne et disparut.
Le cheval du lieutenant fut retrouvé, le lendemain matin, à la porte de la caserne, quant au Grand Boiron, on assure qu’on ne le revit plus dans le pays ni ailleurs.
LAISNEL DE LA SALLE.